L’ingénierie neuchâteloise au cœur de la mission spatiale Rosetta

Lors de la mission Rosetta, le 12 novembre 2014, l’agence spatiale européenne (ESA) devance pour la première fois son homologue américain, la NASA, en réussissant un exploit : atterrir sur une[...]


8 mai 2019

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Lors de la mission Rosetta, le 12 novembre 2014, l’agence spatiale européenne (ESA) devance pour la première fois son homologue américain, la NASA, en réussissant un exploit : atterrir sur une comète.

Grâce à une campagne marketing inédite, le monde entier retient son souffle et suit en direct l’atterrissage du robot Philae. Un suivi visuel que l’on doit notamment à des caméras miniaturisées…neuchâteloises. Neuchâtel mais aussi 25 entreprises suisses et 14 pays européens ont pris part à ce projet d’envergure.

L’Europe prend les devants

Tout commence en 1991, lorsque la communauté scientifique internationale propose le lancement d’une mission dédiée aux comètes. Deux années plus tard, un projet débute pour l’ESA. Le but : se rendre dans l’espace pour ramener sur Terre un échantillon cométaire. Face à l’ampleur du défi, l’agence spatiale doit rogner dans ses ambitions. Elle abandonne l’idée d’un partenariat avec la NASA, décide de se poser sur une comète plutôt que d’en faire un prélèvement et renonce à emporter deux atterrisseurs en voyage pour se focaliser sur un seul et unique robot, baptisé Philae.

Après un premier de lancement de fusée échoué en 2002, la mission Rosetta est à nouveau recalibrée. Le départ est reporté à 2004 et la destination modifiée. Désormais, la cible est la comète 67P/Tchourioumov-Guerassimenko, aussi appelée «Tchouri». Lors de son périple qui durera dix ans, la sonde Rosetta qui transporte le robot Philae, survolera les astéroïdes Steins en 2008 et Lutèce en 2010 (mission secondaire). Ceci avant de rentrer en hibernation pendant 31 mois afin d’économiser son énergie.

Dernière étape fatidique

A son réveil, la sonde ne se trouve plus qu’à sept mois de vol de la comète, soit 9 millions de kilomètres. Le suivi de la mission s’effectue grâce aux images prises par les caméras neuchâteloises. Le 25 août 2014, des images haute résolution prises à une centaine de km de distance de la comète permettent de définir cinq sites d’atterrissage potentiels pour Philae, moment clé de la mission. Le 29 septembre, le lieu choisi est annoncé et la date fixée au 12 novembre.

Le jour J, le lander Philae éjecté de la sonde Rosetta chutera pendant 7 heures et 2 minutes. Une attente interminable pour les 2000 personnes ayant travaillé pendant 20 ans sur cette mission. Malgré quelques instants de frayeurs durant lesquels le robot rebondit plusieurs fois du fait de la faible gravité, Philae termine sa route à plus d’un kilomètre du lieu visé initialement. À partir de ce nouveau site, des données sont recueillies durant trois jours. Les caméras réalisent un panoramique à 360° et permettent de découvrir un sol qui semble plus dur et rocheux qu’attendu.

Fort de ses résultats et des objectifs remplis à 80%, l’agence spatiale met fin à la mission le 30 septembre 2016, après que la sonde ai rejoint à son tour la surface de la comète. Rosetta et Philae, désormais inertes, devraient accompagner « Tchouri » jusqu’à sa désintégration ou dans sa collision avec un autre corps céleste. Une fin dont la date ne sera jamais connue.

 

 

 

Neuchâtel comme acteur clé

Ce projet inédit qui a coûté environ 1,3 milliards d’euros, un prix comparable à celui de trois Airbus 380, doit une partie de sa gloire au savoir-faire helvétique. Parmi la vingtaine d’entreprises suisses concernées, APCO Technologies à Aigle, a géré la mécanique du spectromètre ROSINA, chargé d’analyser les gaz et poussières qui s’échappent de la comète. Un instrument conçu principalement par l’Institut de physique de l’Université de Berne.

La société RUAG Space à Zürich a, entre autres, développé un « sac de couchage » qui a servi à protéger la sonde du froid et des impacts de météorites lors de son vol. Les installations électriques au sol ont quant à elles bénéficié de l’expertise de l’entreprise bâloise Clemessy. Et concernant la navette d’atterrissage, les deux moteurs proviennent de l’entreprise obwaldienne Maxon Motor AG.

Malgré tout, une participation au projet se démarque des autres : celle du CSEM, l’institut d’exploration spatiale SPACE-X, dirigé par Jean-Luc Josset. Situé à Neuchâtel, c’est lui qui a conçu les « yeux » de la mission. Mandaté par l’Agence spatiale européenne au début des années nonante, le CSEM développe les plus petites caméras digitales du monde. Une véritable avancée technologique pour l’époque.

Les gens pensaient qu’une telle invention était impossible, ça a été délicat de les convaincre, surtout qu’ils ne nous connaissaient pas. Mais la qualité suisse et notre proposition ont su les convaincre,

raconte le Dr Ivar Kjelberg membre de l’équipe du CSEM.

Un pari d’ingénierie pour le CSEM

L’équipe de l’institut, composée d’une dizaine de spécialistes, planche entre 1992 et 1997 pour concevoir sept micro caméras uniques au monde. Pièces importantes du puzzle, ces optiques doivent faire partie du projet et se doivent de déboucher sur une réussite pour le CSEM. Un pari risqué selon le Dr Ivar Kjelberg.

Tous les voyages dans l’espace sont périlleux, précise-t-il. La différence est qu’en Suisse nous sommes plus cher que les autres pays donc nous devons nous démarquer en ayant des projets spéciaux à haut risque.

Caméra miniature CSEM
Caméra miniature développée par le CSEM

De ces années de recherches naissent plusieurs prototypes. Les premiers mesurent 35 mm de haut, 21 mm de large et 1 mm d’épaisseur, à peine plus grand qu’un timbre-poste. Des mois de tests permettent en 1998 de proposer une caméra totalement autonome et peu gourmande en énergie. Une prise de vue ne nécessite alors que 2 watts, une consommation similaire à celle d’une lampe torche. Les produits finaux sont finalement livrés en 2001 et respectent tous les demandes du cahier des charges de la mission.

Basé sur la technologie Flextec, une pièce en titane et un ressort interne usiné dans la masse, l’ensemble des éléments de la caméra s’assemblent parfaitement et sont préparés à toutes sortes de difficultés prévues durant leur voyage. À destination du robot atterrisseur Philae, deux caméras regarderont dans la même direction et serviront de vision stéréo afin d’avoir de la profondeur. Les cinq autres seront placées sur toutes les faces du lander pour obtenir une vision panoramique à 360°.

L’intérêt de nos caméras c’est qu’elles sont minuscules, avec une optique de qualité (1 million de pixels) et très légères, ce qui évite de surcharger le robot,

indique Dr Kjelberg. A titre comparatif, l’appareil ne pesant que 100 grammes fait le même poids qu’une demi-baguette de pain.

Des difficultés surpassées

Développer un tel appareil pour un environnement inconnu suppose bien des défis à relever.

Nous avons dû faire face à de nombreux obstacles dans notre conception de caméras. Notamment des variations extrêmes de températures (de -150 °C à +150 °C), des conditions de vide et des radiations cosmiques qui demandent beaucoup de précautions dans le choix des matériaux. Les conditions difficiles de vol étaient connues mais le reste de la mission relevait de l’hypothétique, ce qui a compliqué nos analyses et nos tests,

, se rappelle le chercheur du CSEM

Heureusement, l’institut neuchâtelois a su trouver des solutions. Et ce, grâce à deux choses fondamentales selon le Dr Ivar Kjelberg. Premièrement, la diversité des formations de l’équipe du CSEM offre une grande palette de possibilités. Bien que tous aient une base d’ingénieur système, chaque personne apporte son lot d’expérience et d’expertise.

Deuxièmement, l’aspect de continuité dans l’entreprise. Ivar Kjelberg, à titre d’exemple, apporte son savoir-faire au sein du CSEM depuis plus de 30 ans.

C’est un sérieux avantage dans une mission, assure ce dernier. Si une personne travaille du début à la fin sur un projet il en connaît tous les rouages, alors que changer d’opérateur en cours de route peut faire perdre un précieux temps.

Un avantage dont l’institut neuchâtelois peut se targuer grâce à sa taille relativement modeste.

L’après-Rosetta pour le canton

Trois ans après la fin de la mission Rosetta, le CSEM est ravi de sa participation.

Nous ne sommes pas devenus millionnaires avec ce projet. Au contraire, nous avons perdu de l’argent mais nous avons gagné en expertise, en réputation internationale et cela a permis de trouver de nouveaux partenaires sous-traitants,

relate le Dr Kjelberg

En effet, les entreprises de la région ayant pris part à la confection des caméras, comme Fisba Optik AG, à Saint-Gall, ont ainsi pu bénéficier au travers du CSEM, d’une belle publicité à l’étranger. Plus globalement, la participation de Neuchâtel à ce projet a servi de miroir pour le domaine de la micromécanique et en a fait une autre spécialité cantonale que celle de l’horlogerie.

Telle une carte de visite, cette expérience spatiale a démontré que les ingénieurs de l’institut neuchâtelois pouvaient collaborer aisément avec de grandes sociétés en réalisant de réels avancées micromécaniques. De quoi lancer le CSEM sur la voie de nouveaux grands projets d’ingénierie spatiale, comme actuellement, le projet européen Remove Debris.


Dates clés:

1993 : Projet Rosetta approuvé par l’Agence spatiale européenne.

2001 : Les sept caméras miniatures neuchâteloises sont livrées.

2004 : Lancement de la sonde dans l’espace, à Kourou (Guyane).

2008 : Survol de l’astéroïde Steins.

2010 : Survol de l’astéroïde Lutèce.

2011 : Mise en sommeil de la sonde.

2014 : Réactivation et mise en orbite de la sonde autour de la comète. Atterrissage du robot Philae sur «Tchouri».

2016 : Fin de la mission Rosetta.

 

Informations principales:

Le but de la mission :  La mission Rosetta avait pour objectif d’étudier, à l’aide des 21 instruments scientifiques embarqués sur l’atterrisseur et l’orbiteur, le lien qui existe entre les comètes et la matière interstellaire. Mais aussi le rôle joué par les comètes dans la formation du système solaire.

Profil de la comète : 67/Churyumov-Gerasimenko fut découverte en 1969 par deux chercheurs soviétiques du même nom. Elle a un diamètre d’environ 4 kilomètres et parcours son orbite en six ans et demi. Composée en majorité de glace, sa surface est grise et accidentée.

Profil de Philae : Ce robot de 1,3 mètres, pèse 100 kilos sur Terre mais seulement 1 gramme sur la comète. Pour la mission, il comportait dix instruments scientifiques (dont les caméras neuchâteloises).

Profil de Rosetta : Équipée de onze instruments pour sa mission, le rôle principal de cette sonde de trois tonnes était de transporter le robot Philae qui doit atterrir sur la comète.

 

Les principaux résultats :

  • L’hypothèse selon laquelle l’eau présente sur Terre a été apportée par des comètes n’a pas été confirmée par les analyses.
  • Par contre, la comète possède bien les éléments qui auraient pu contribuer à la formation de la vie sur Terre.
  • La forme de la comète est finalement inattendue.
  • Cette forme a une influence sur les saisons, les déplacements de la poussière à la surface de la comète, mais également sur la composition de son atmosphère.
  • Les gaz s’échappant de la comète sont inattendus.
  • De nombreux éléments organiques y ont été détectés.
  • Le sol n’est finalement pas mou mais dur comme la glace.

 

Vidéos et photos de la mission:

 

ESA     CSEM     DLR     CNES     Images finales de l’ESA

Article rédigé par Julie Müller

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