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Olivier Henin : un entrepreneur qui malgré sa vision depuis les étoiles, garde les pieds sur terre.

SYDERAL SWISS SA conçoit et produit des équipements électroniques embarqués sur mesure pour des applications spatiales depuis plus de 25 ans. L’entreprise a participé à plus de 50 missions[...]

Victoria Barras
22 novembre 2021

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SYDERAL SWISS SA conçoit et produit des équipements électroniques embarqués sur mesure pour des applications spatiales depuis plus de 25 ans. L’entreprise a participé à plus de 50 missions sans aucune défaillance, pour des clients tels que l’ESA, la NASA, Thales Alenia Space et Airbus.

Originaire de Belgique, Olivier Henin est CEO, co-fondateur et copropriétaire de SYDERAL SWISS. Il est également Président du Swiss Space Industries Group qui regroupe les entreprises du secteur industriel technique spatial. Rencontre avec un entrepreneur qui malgré sa vision depuis les étoiles, garde les pieds sur terre.

Comment s’organise le marché spatial ?

Globalement, le marché spatial est divisé en deux grands segments : les satellites et les lanceurs.
Concernant le segment satellite, pour les missions autour de la terre (certaines missions partent vers d’autres planètes) les missions sont divisées selon les orbites d’opérations. On parle d’orbite LEO (Low Orbite), MEO (Médium Orbite) et GEO (Orbite géostationnaire). Cette dernière se situe à 40’000 km de la terre, ce qui fait que les satellites sont positionnés toujours au même endroit. Ils permettent par exemple de transmettre une émission de télévision d’un côté à l’autre de la planète. C’est ce que l’on appelle la mondovision, dont les premières diffusions ont eu lieu dans les années soixante. Depuis, les besoins en bande passante sont grandissants, comme les besoins de streaming ou internet. Les satellites envoient et réceptionnent des fichiers, des images ou encore du streaming. L’espace est un endroit attrayant car dans de nombreuses configurations, la technologie spatiale est plus adéquate que les technologies terrestres.
Le segment lanceur quant à lui est stratégiquement très important car il assure l’accès à l’Espace. Aujourd’hui, nous parlons de matériel et d’astronautes, demain nous verrons probablement émerger des marchés tels que le tourisme ou même la logistique. L’Europe au travers de sa famille de fusée Ariane est très bien positionnée pour opérer aussi bien des lancements de charge utile européenne que des satellites commerciaux. Comme dans de nombreux secteurs industriels, la concurrence est féroce. Dans le cas présent la concurrence principale vient de SPaceX, projet porté par Elon Musk.

Comment la Suisse s’est-elle organisée pour les questions spatiales ?

La Suisse ne dispose pas de sa propre agence spatiale nationale. Dans le domaine de la recherche et développement, elle rejoint, en grand partie, les activités et les programmes de l’Agence spatiale européenne (ESA). C’est le Swiss Space Office (SSO) qui gère les questions liées au spatial. Malgré sa taille, je pense que la Suisse, située au cœur de l’Europe et avec ses compétences à haute valeur ajoutée, a de nombreuses cartes à jouer dans les projets européens. Chaque année, le pays participe à hauteur de 150 millions de francs au budget de l’ESA. Cette participation nous permet de prendre part aux décisions concernant les projets de coopération européenne. Les retours sur investissements sont multiples: la population suisse bénéficie des applications spatiales telles que celles qui interviennent dans la recherche environnementale et climatique, la prévention des catastrophes, la sécurité, la navigation, les télécommunications ou encore les prévisions météorologiques. Elle permet aux scientifiques d’accéder aux programmes de soutien internationaux et à notre industrie de se voir confier des mandats importants selon la politique du « géoreturn » ou retour géographique : pour un franc investi, au moins un franc doit être réinvesti dans l’industrie suisse.

Avez-vous quelques exemples de projets spatiaux européens ?

Le projet Copernicus est un bel exemple de réussite. Copernicus permet de rassembler l’ensemble des données obtenues à partir de satellites environnementaux et d’instruments de mesure sur site, afin de produire une vue globale et complète de l’état de notre planète. La Suisse a participé au développement des six satellites et a décidé de participer à hauteur de 40 millions. Elle a déjà bénéficié de 56 millions de retour géographique. Je profite de souligner que ce type de projet est possible uniquement grâce à l’existence des bilatérales. Et actuellement, un gros risque géopolitique existe pour la Suisse depuis que le Conseil fédéral a quitté la table des négociations. Très concrètement, pour l’achat de la deuxième version des satellites, il est possible que la Suisse ne soit plus sur le carnet de commande de l’Europe si une solution politique n’est pas trouvée d’ici là.

Vous avez mentionné le fait que l’espace « espace » est très attractif. Est-il réglementé ?

Vous faites bien de mentionner cet aspect nouveau. Avant nous parlions uniquement de l’espace terrestre et l’espace aérien. Maintenant apparait également ce que je nomme espace « espace », c’est-à-dire tout ce qu’il y a au-dessus de la Suisse.
Le premier traité de l’ONU sur la question date de 1967. Il a fait l’objet de trois révisions.
Ce traité vise à réguler l’utilisation de l’espace et de définir les responsabilités des états.
Aujourd’hui la Suisse se pose la question de légiférer sur la question.
À titre d’information, l’Allemagne, grande nation spatiale, n’a établi aucune réglementation, contrairement à l’Autriche qui est un exemple en la matière. Quant à la Suisse, la question est justement à l’ordre du jour puisqu’il n’existe aucune loi nationale pour l’instant. En effet, au niveau international, le pays hébergeant un opérateur satellite qui causerait des dégâts matériels sur terre ou en orbite serait considéré comme responsable vis-à-vis des autres états. Et actuellement sur sol helvétique, il n’existe aucune loi qui définisse les responsabilités en cas d’accident. Sans vouloir trop rentrer dans les détails, un satellite étant par définition obligé de passer au-dessus de nombreux pays amis ou moins amis, une réglementation devra s’organiser.

Quelles sont les nouvelles tendances que vous observez dans le domaine ?

Autrefois, la course aux technologies spatiales se jouait dans un monde bipolaire entre les Etats-Unis et la Russie. L’Europe a réussi à se faire une place de choix comme 3ème acteur mondial. Ce que nous appelons le marché institutionnel de l’ESA, principalement pour des missions scientifiques ou de communication, les lanceurs et la participation à la station orbitale internationale ISS.
Or depuis peu, on observe l’émergence d’un marché commercial qui se veut plus compétitif avec de plus grande séries de satellite identiques. De multiples nouveaux acteurs émergent en Amérique, en Chine, Japon, Moyen-Orient pour n’en citer que quelques-uns.
Ces nouveaux modèles économiques sont basés sur des modèles d’affaire qui intègrent le coût de l’infrastructure spatiale, le lancement, l’exploitation et le service au sol via l’exploitation des données. Vous aurez compris que le moment est dès lors stratégique, nous devons toutes et tous être prêt.e.s face à l’émergence de ce nouveau marché commercial.

Quel est le plus gros challenge auquel vous êtes confronté en ce moment ?

Au-delà de la menace qui plane sur les bilatérales, la force du franc suisse reste une difficulté majeure. C’est assez difficile de lire dans la presse spécialisée que les entrepreneuse.eur.s se sont adapaté.e.s. Il me paraît impossible d’absorber une diminution de ses marges de 25% en dix ans. La réalité est que nous avons pour la plupart puisé dans nos réserves qui seraient nécessaires dans un plan de relance et d’adaptation à un nouveau marché.
Évidemment, nous cherchons en permanence à nous diversifier et si possible obtenir des contrats en francs suisses, ce qui n’est actuellement pas le cas avec l’ESA et la CEE.
Les contrats offsets sont à ce titre intéressants. Les offsets sont des contrats non standards exigeant qu’une forme d’activité économique soit transférée du vendeur au gouvernement de l’acheteur comme condition pour la vente de biens et/ou services sur les marchés publics. C’est en principe le fournisseur étranger lui-même qui choisit les bénéficiaires suisses sur la base de leur compétitivité et de leurs compétences. D’où l’intérêt pour la Suisse de garder ses propres infrastructures dans le domaine militaire.

Quelle est votre vision pour continuer à recruter du personnel aux compétences à haute valeur ajoutée ?

J’enfonce une porte ouverte si je vous dis que la Suisse et l’Europe manquent cruellement d’ingénieur.e.s. Les écoles forment des ingénieurs, nous les formons aux technologies spatiales.
Chaque entreprise est devenue tellement experte dans son domaine que nous devrions collaborer pour partager ces compétences dans des domaines non-concurrents.
Je suis par exemple certain que les ingénieur.e.s de SYDERAL SWISS pourraient notamment collaborer sur des projets avec Medtronic et vice-versa.
Afin de ne pas perdre notre excellence largement reconnue, une réflexion au niveau cantonal / national amenant un support à l’industrie pourrait améliorer la situation et permettre un décloisonnement des secteurs.

 

 

 

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