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La fever curve, un indicateur à haute fréquence utile en période de crise sanitaire

Daniel Kaufmann a grandi à Soleure et fait ses études à Berne. Il travaille à la Banque Nationale Suisse (BNS) dans un groupe de prévisions macro-économique. Il est ensuite engagé au centre de[...]

Victoria Barras
2 octobre 2020

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Daniel Kaufmann a grandi à Soleure et fait ses études à Berne. Il travaille à la Banque Nationale Suisse (BNS) dans un groupe de prévisions macro-économique. Il est ensuite engagé au centre de recherches conjoncturelles (KOF) où il réalise des recherches sur les fluctuations des prix et salaires pour l’économie Suisse.
Actuellement professeur assistant à l’université de Neuchâtel, il concentre principalement ses recherches sur les politiques monétaires. Il a récemment publié des articles sur l’histoire économique, notamment sur la relation entre déflation et activité économique.

Il développe également des indicateurs prospectifs comme la fever curve ou courbe de fièvre pour l’économie suisse.

La fever curve en bref

Comme les données macroéconomiques sont publiées avec un retard considérable, il a été difficile d’évaluer la santé de l’économie depuis le début de la crise de Covid-19, qui évolue rapidement. La fever curve pour l’économie suisse a été développée en utilisant des données quotidiennes sur les marchés financiers et les actualités accessibles au public. L’indicateur peut être calculé avec un jour de retard uniquement. De plus, il est fortement corrélé avec les données macroéconomiques et les indicateurs d’enquête de l’activité économique suisse. Il fournit donc des signaux d’alerte fiables et opportuns si la santé de l’économie se détériore.

Les chiffres de prévision du chômage, du PIB pour 2020-2021 n’arrêtent pas d’évoluer. Comment expliquez-vous ce changement ?

Ces changements rapides dans les prévisions s’expliquent par deux facteurs différents :

  1. Plus on se rapproche de la date de prévision, plus la quantité de données disponibles est importante et donc plus il est possible d’affiner cette prévision. Un peu comme pour la météo.
  2. Les prévisions communiquées officiellement ont un impact sur le comportement des consommateurs.trices et des investisseurs, ainsi que sur le gouvernement. Au départ, il a été annoncé que la crise COVID19 serait plus violente pour l’économie que la grande dépression des années 30. Du coup, le gouvernement a mis en place des paquets d’aide pour l’économie afin d’atténuer l’impact du confinement sur l’économie suisse. Cette dernière produit ses effets et amorti le choc, et la crise est au final moins violente que prévue.
    Ces prévisions permettent donc aux décideuses.eurs d’agir proactivement plutôt que rétroactivement.

Pour la fever curve, comment avez-vous eu l’idée de vous baser sur des données quotidiennes et non trimestrielles par exemple ?

La crise COVID19 a été un déclencheur. En effet, le Conseil fédéral a dû prendre des décisions hebdomadaires pour la gestion de la crise sanitaire alors que d’habitude elles sont prises sur une base trimestrielle au minimum. Donc, l’OFSP a également publié des statistiques quotidiennes.
En macroéconomie, il est encore rare d’utiliser des séries à hautes fréquences. Cependant, de grandes quantités de données sont accessibles journalièrement, comme par exemple les transactions des cartes de crédits de tous les ménages suisses. Il est important de souligner que les données hautes fréquences présentent le désavantage d’exprimer de faux signaux, des fluctuations temporaires qu’il faut souvent ignorer. En général, nous les observons sur plusieurs semaines pour s’assurer qu’une véritable information est en train d’émerger. Par contre, notre indicateur combine plusieurs sous-indicateurs des différentes bases de données afin de réduire la probabilité d’un faux signal.

Avec la rapidité de diffusion des informations, pensez-vous que cette fréquence de décision augmente ?

C’est effectivement possible. Par exemple, la BNS a annoncé l’introduction du taux plancher hors des dates officielles de communication trimestrielle de l’institution, ce qui a créé la surprise. Dans le cas de la COVID19, le gouvernement a dû s’adapter très vite. Et dans ce contexte, des indicateurs comme la fever curve deviennent très adaptés.

Qui peut avoir accès à la fever curve ?

Pour le moment, les données et les codes sont mis à disposition en open source sur github, une plateforme de développement. Le but de ce projet est d’utiliser seulement des données disponibles gratuitement. Ainsi, tout le monde pourrait les améliorer ou utiliser une partie de ces données en les combinant avec d’autres. Il est possible d’aller sur github, de télécharger l’indicateur et de l’utiliser dans un modèle de prévision ou simplement regarder le lien entre la croissance du PIB ou le taux de chômage. L’avantage de cet indicateur est qu’il peut être calculé quotidiennement, ce qui est plutôt rare dans l’univers des prévisions économiques.
Nous avons reçu de nombreux commentaire de nos utilisateurs.trices. L’indicateur a été mentionné dans de différents rapports comme par exemple celui de Crédit Suisse ou SwissLife.

Fever curve graphique

Lorsque les courbes se trouvent au-dessus de zéro, le PIB augmente, en-dessous, il diminue (notons que la fever curve est inversée pour faciliter la comparaison avec le PIB). Lors de la crise Leman Brother en 2018, on observe une forte chute du PIB, soit une récession et l’indice de la fever curve suit cette tendance, bien que la corrélation ne soit parfaite (0.57). Le but de la fever curve n’est pas forcément de la rattacher à un concept statistique mais plutôt d’annoncer les tendances conjoncturelles en s’appuyant sur des données à plus haute fréquence. Lors de la crise COVID19, la courbe a signalé une forte chute du PIB déjà en mars, même si la diminution du PIB pendant le premier trimestre (publié par le SECO en juin) était encore plus important à cause du confinement. Seule une dizaine de variables sont utilisées pour calculer la fever curve, ce qui explique aussi qu’elle puisse parfois exprimer des signaux imprécis. Mais de manière générale, on peut dire que la fever curve suit les mêmes tendances que la hausse ou la baisse de la croissance du PIB.

Comment fonctionne le « sentiment score », qui permet de matérialiser la fever curve ?

Le sentiment score est basé sur des articles de journaux suisses, en allemand pour l’instant, mais nous sommes en train d’étendre la sélection aux articles français. Nous prenons en compte le chapeau (lead text), car c’est dans cette partie que l’information importante est souvent relayée. De plus, elle est souvent gratuite, ce qui rend la fever curve accessible à tout le monde. Nous sommes en train d’analyser la pertinence de prendre en compte davantage que le chapeau.
Concrètement, nous comptons le nombre de mots à consonance positive et négative (sur la base de lexiques existants). Puis nous soustrayons les mots négatifs aux mots positifs et divisons le tout par le total de mot utilisés.

Cette approche est utilisée en marketing dans l’évaluation de la réputation d’une marque. Est-ce nouveau en économie ?

En économie, cette approche ressemble aussi aux enquêtes conjoncturelles, par exemple du KOF, ou l’on demande aux entreprises de juger leur situation dans un questionnaire qualitatif. Le professeur David Ardia a travaillé sur des indicateurs basés sur les sentiments mais plutôt pour les États-Unis. D’autres chercheurs.euses ont examiné des indicateurs basés sur des recherches récentes des utilisateurs.trices des moteurs de recherche. Le désavantage de cette dernière approche est que ces informations n’existent que depuis 2006. Or, pour le cas de notre indicateur, nous avions besoin de passer nos variables à l’aune de plusieurs récessions. Donc, on a calculé la fever curve depuis l’an 2000 et nous sommes en train d’évaluer si on peut prolonger l’indicateur encore plus.
Actuellement, notre sentiment score est encore trop volatil car il se base sur un nombre restreint de données, mais nous travaillons à l’élargissement de celles-ci. C’est la raison pour laquelle nous combinons ces sentiments avec des données des marchés financiers dans la fever curve.

Selon votre modèle, l’économie suisse est-elle impactée par des facteurs étrangers ou nationaux ?

Afin de répondre à cette question, nous avons catégorisé les articles selon le pays d’origine. Concrètement, nous avons cherché des mots comme « Suisse », « Europe », « Allemagne » dans les articles avant de calculer le sentiment.
Notre indicateur utilise non seulement les sentiments, mais aussi des variables des marchés financiers (par exemple, des primes de risque ou la volatilité des prix des actions). Pour les variables des marchés financiers, nous avons des variables sur le taux d’intérêt en francs suisse sur les obligations des entreprises suisses. En plus, nous avons recherché les mêmes variables à l’étranger. Avec cette catégorisation, notre approche statistique permet de distribuer la fluctuation de l’indicateur liée aux variables à l’étranger et aux variables domestiques.

impact étranger covid29 fever curve

Sur le graphique, on observe que la contribution des variables étrangères et domestiques était à peu près équivalente au pic de la crise (note que la fever curve n’est pas inversé ; une augmentation signifie une augmentation de la « fièvre », c-à-d, une dégradation de la situation économique). Récemment, la contribution domestique est plus importante. En effet, cette crise a impacté aussi bien la demande pour les produits suisses que la demande interne, car le climat d’insécurité (emploi notamment) a poussé les Suisse.esse.s à épargner davantage.
On questionne souvent l’impact du confinement total sur la croissance de l’économie. Il y a eu des tentatives de croisements de modèles pandémiques et économiques. Il en ressort que même sans confinement, la population se serait auto-protégée en limitant les activités sociales à l’extérieur du domicile. Au moins, une directive gouvernementale nationale a le mérite de mettre en place une politique de protection uniforme, tout en rassurant les gens sur la possibilité de pouvoir compter sur un gouvernement capable de prendre des décisions dans l’urgence.

Vous continuez de travailler sur ce modèle, avez-vous un ou deux points en particularité que vous aimeriez améliorer pour les prochaines versions ?

Mon doctorant Marc Burri qui est co-auteur sur cet article travaille sur l’amélioration du modèle pour son mémoire de doctorat. Nous rassemblons plus de données de plus de journaux francophones et des journaux tessinois afin de voir si les informations reçues sont différentes.
Dans un deuxième temps, nous aimerions nous éloigner du sentiment score qui est une approche un peu naïve.
Avec l’utilisation du machine learning, nous pourrions envisager des fever curves plus segmentées, par domaine d’activité ou par région par exemple et plus uniquement sur l’économie suisse globalement.

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