NuLink – Interview avec Laurent Zwahlen

Découvrez les entreprises qui composent le tissu économique neuchâtelois ! Votre parcours en quelques mots ? Je m’appelle Laurent Zwahlen et j’ai 62 ans cette année. J’ai fait[...]


1 octobre 2019

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Découvrez les entreprises qui composent le tissu économique neuchâtelois !

Votre parcours en quelques mots ?

Je m’appelle Laurent Zwahlen et j’ai 62 ans cette année. J’ai fait l’école Technique au Locle, un CFC de monteur d’appareil électronique, puis deux années en tant que technicien. Ensuite, j’ai travaillé chez Swiss Timing comme responsable du département R&D avant d’aller à la Migros pour informatiser la salle logistique de la halle de Marin. Après cela, j’ai fait une Licence accélérée en informatique à Berne. Suite à un MBA, j’ai travaillé trois ans à la SBS avant la fusion avec UBS.
Je suis un passionné de télévision et techniques appliquées à la télévision et j’ai créé une première société en 2000, LiveTools Technologie SA.

 

Dans quel domaine votre entreprise était-elle active ?

C’était la première entreprise au monde à développer une technologie de transmission numérique, sans fil, pour les caméras de télévision. La société était basée à Marin et comptait seize personnes. Nous avions reçu des aides de différentes entités du canton et de l’UBS qui faisait encore alors du Start-Capital. Nous avons développé le système de transmission numérique du Tour de France qui est encore utilisé aujourd’hui. Certes, il a évolué avec la Haute définition (HD) mais c’est toujours la même base technique qui est utilisée.

En 2006, nous avons cherché des financements afin de nous développer à l’international, malheureusement sans succès. Puis nous avons reçu une offre de rachat de la société qui produit le Tour de France. Elle souhaitait garder l’exclusivité sur nos produits. Dès lors, ils ont fait une offre de rachat de la société que nous avons acceptée. La société est encore basée en Suisse, à Morges, et elle est toujours impliquée pour le tour de France. Après cette aventure entrepreneuriale, j’ai créé NuLink en 2006.

 

Quelles sont les activités de NuLink ?

Elle propose des activités de consulting. En effet, cette approche me paraît plus adaptée pour rester indépendant et ne pas passer son temps à rechercher des financements. De fil en aiguille, j’ai été mandaté pour de grands projets comme les Jeux Olympiques (JO), les championnats du monde de cyclisme. J’ai aussi été responsable de toutes les caméras sans fil durant la coupe du monde de football en Russie (2018) et en France (2019).

 

Quand vous évoquez le consulting, qu’est-ce que cela signifie ?

Dans le cas d’une coupe du monde, cela englobe la gestion du projet dans son ensemble : la sélection de la technologie, l’intégration des systèmes, la présentation des systèmes au client (FIFA dans ce cas), les tests et les démonstrations. Puis la fabrication des systèmes démarre (sous-traitance des cartes électroniques par ex.), les équipes opérationnelles sont créées et finalement les techniciens se déplacent sur les lieux de l’événement. Pour la coupe du monde en Russie, il y avait deux techniciens par ville (douze villes) et je suis resté à Moscou pour le support technique. Tout cela pendant six semaines.
Durant les JO de Rio de Janeiro (Brésil), j’étais responsable de toutes les caméras wireless (sans fil) pour Olympic Broadcasting Services qui est la société qui gère les droits et la production TV pour le Comité International Olympique (CIO). J’ai travaillé pour eux de manière périodique, avec des contrats liés à des événements précis.

 

Quelles sont les dernières activités de NuLink ?

En parallèle des activités de consulting, NuLink a participé, avec l’EPFL, à un important projet européen qui s’appelle 4KREPROSYS, dans le cadre de Celtic Next (de la gamme Eureka). La partie suisse de ce projet est financée par Innosuisse (environ un million). Nous collaborons avec sept partenaires internationaux qui ont reçu un financement à hauteur de 2.5 millions. Dans le cadre de ce projet, nous avons développé un nouveau compresseur HEVC (High Efficiency Video Coding) pour compresser les images vidéos. D’ailleurs, nous avons reçu le prix du meilleur projet multimédia de chez Celtic-Next le 19 juin 2019.

 

Quelle est l’avantage de cette nouvelle manière de compresser les images ?

Auparavant, la télévision était en standard définition, puis nous sommes passé à la haute définition, avec une augmentation du débit. À présent, les images sont en qualité 4K, pour lesquelles nous avons développé un compresseur. En effet, le débit d’image augmente considérablement. Toutefois les tuyaux qui acheminent le programme à travers le téléréseau ne sont pas beaucoup plus grands ou plus performants. Dès lors il faut une technologie, plus évoluée, pour compresser ces débits qui augmentent afin qu’ils passent dans les sections des tuyaux existants.

D’ailleurs, l’EPLF possède un des meilleurs laboratoires de compression audio-vidéo du monde. Le professeur de ce laboratoire, Marco Mattavelli, est un des plus grands spécialistes et il est également un des responsables de la normalisation et de la standardisation chez MPEG.

 

Quelle suite allez-vous donner à ces recherches ?

Nous souhaitons commercialiser ce produit. Nous en avons déjà fabriqué 150 qui ont été utilisés l’année passée à la Coupe du monde en Russie.
De plus, le produit intègre un modem sans fil qui nécessite encore des développements. Pour cela, nous avons relancé un programme de recherche, 100 % suisse cette fois, en espérant ainsi maintenir la technologie et la fabrication du produit sur le sol helvétique.

 

Quelle est votre vision de la 5G ?

Tout le monde parle de la 5G qui est l’évolution de la 4G. L’attention des médias est focalisée sur le réseau public (Swisscom, Salt, Sunrise). Une fois accessible, les utilisateurs devront changer de téléphone afin d’avoir accès à du débit plus performant. En résumé, l’envoi de fichiers sera plus rapide (30 à 40 fois) et la latence de réseau se réduira à 5-10 millisecondes (le moment entre l’envoi et la réception d’un message). Pour les particuliers, on peut presque parler de « gadget ». Par contre, pour les objets connectés comme la voiture avec pilotage automatique, la vitesse de transmission de l’information est cruciale, dans le cadre d’un freinage d’urgence par exemple. Ainsi, la voiture effectuant le freinage pourra avertir tous les autres véhicules dans un délai très rapide afin d’éviter les accidents (40 millisecondes sur l’autoroute peuvent représenter plusieurs mètres selon la vitesse des voitures). En bref, la 5G va surtout avoir un impact sur les applications hors grand public, les particuliers ne seront pas vraiment concernés !

La 5G est une rupture totale, c’est essentiellement un réseau de communication de données sur lequel il est aussi possible de « parler ». Toute l’industrie va s’intéresser à l’aspect « communication ». Plus concrètement, il s’agit d’échanges de données qui peuvent être de la vidéo en direct ou l’envoi de données pour piloter un robot, par exemple.

 

Quelles entreprises pourraient être intéressé par ce type de communication ?

La liste des clients potentiels est très vaste. La Migros, par exemple, a un centre logistique à Marin depuis lequel elle livre la marchandise chaque nuit vers ses magasins. Les livraisons se font en camion sur des palettes, cartons etc. L’avenir est d’automatiser, robotiser tous les processus avec des palettes automatiques notamment. Pour gérer cela, il faudra des communications sans fil très rapide (un mauvais ordre peut se transformer en accident).

Le Wi-Fi, aujourd’hui, ne permet pas cette communication, par conséquent la 5G est le candidat idéal pour ce genre de transmission. C’est donc dans ce cadre que nous entrons dans la « 5G privée ». C’est un système qui sera installable partout (hall de montage, stade de football, dans des champs). Un réseau privé sera géré par son utilisateur. Ce dernier aura ses propres cartes SIM (une par objet connecté), et gérera son réseau comme il le souhaite, sans Swisscom ou un autre opérateur (sans abonnement).

Malheureusement, à mon avis, la Suisse a fait une erreur en vendant presque la totalité des fréquences 5G aux opérateurs téléphoniques. Certaines fréquences sont encore disponibles, mais il y aura des soucis lorsque l’industrie voudra implémenter des réseaux 5G privé.

NuLink a commencé à développer des solutions complètes de 5G privée : de la station de base vers des modems spécialisés pour des applications audio-visuels professionnelles car c’est notre spécialisation et nous sommes déjà en contact avec des clients potentiels. Ensuite, nous pourrons adapter notre solution à d’autres domaine car la philosophie est la même.

 

Pourquoi l’industrie n’a pas réservé ou obtenu de fréquences 5G lors de la mise aux enchères?

C’est l’OFCOM qui a vendu les fréquences, sans forcément se concerter avec l’industrie suisse. Quand l’industrie se manifestera, l’OFCOM enverra les demandes vers les opérateurs qui ne seront pas forcément intéressés par tous les projets de PME et qui privilégieront ceux de grande taille. SUNRISE sera probablement plus ouvert à ce type de business, contrairement à SWISSCOM. En effet, cela fait une année et demie que nous discutons avec SWISSCOM de nos projets, sans aucun résultat concret à ce jour.

 

Comment allez-vous développer votre nouveau projet ?

Comme nous ne trouvions pas d’opérateur mais que nous avons la chance, avec un réseau privé, de pouvoir utiliser une fréquence en dehors du spectre téléphonie, nous avons soumis fin juillet 2019 un projet Innosuisse. Il regroupe l’OFCOM, un petit département de Swisscom (dép. Connexion international – fibre optique), l’EPFL, la SSR, l’école d’ingénieur d’Yverdon et NuLink. Pour ces projets, je travaille toujours avec l’EPFL et l’École d’ingénieur d’Yverdon. Nous avons reçu la bonne nouvelle le 13 septembre dernier : INNOSUISSE va financer notre projet à hauteur de 800’000.-. Je tiens ici à remercier le service de l’économie du canton (Jean-Luc Bochatay) ainsi que ses coaches Claude Muller (Alliance) et Thomas Meier (Platinn) qui nous ont aidés à monter le dossier.

Sur ce projet, Swisscom semble prêt à investir et acheter des équipements. De plus, Il y a un accord signé avec Swiss timing et NuLink pour développer les premiers réseaux privés, afin de faire des tests (sans les modems, uniquement les stations de bases) avec de la 4G. Nous avons le support d’Ericsson, qui est le fournisseurs 5G de Swisscom. Ils vont nous supporter pour la partie 5G privée, essentiellement en nous permettant d’utiliser leurs laboratoires de tests.

 

Concrètement, quel serait l’impact de votre produit ?

Lors des gros événements sportifs, il faut compter une quarantaine de camions de matériels. Lors des Jeux Olympiques de Rio de Janeiro, nous avons envoyé 120 semi-remorques en bateau et 7200 spécialistes étaient sur place. L’objectif serait d’envoyer uniquement les caméras, les microphones, les outils de chronométrage, les tableaux d’affichage et fortement réduire le nombre d’employés, véhicules et containers à déplacer. Pour cela nous mettrons en place un réseau privé lors de ces événements, avec une connexion fibre optique afin d’effectuer toutes la gestion des caméras à distance (depuis Madrid ou Corgémont). Nous allons tenter de présenter et appliquer l’idée lors de Jeux Olympique de la jeunesse à Lausanne, en janvier 2020. Dans ce cadre, nous sommes en train de préparer un dossier avec Swisscom (sponsor des jeux) afin de présenter le projet et informer le CIO et Olympic Broadcasting services.

Aujourd’hui, il serait déjà possible de remplacer les camions avec des fibres optiques connectées à chaque caméra. On perdrait la mobilité des équipements mais cela fonctionnerait. Un terrain de foot possédant 20 caméras, dont 18 fixes, ne poserait aucun problème. Toutefois, la mise en place du câblage fibre optique pour un seul soir a un coût élevé. De plus, la solution manque de souplesse. Chaque déplacement de caméra demanderait une modification du câblage et donc du personnel. Par contre, toutes ces procédures seraient simplifiées avec l’intégration de tous les équipements audio-vidéo dans un réseau privé 5G sans fil.

 

Quels seraient les défis pour la mise en place de cette technologie ?

Chaque entreprise sera face à de grands défis technologiques et techniques. Swiss Timing doit réfléchir à une nouvelle approche du chronométrage car si lors de l’arrivé d’un coureur l’impulsion est brouillée ou parasitée, le temps sera perdu. Il faut donc penser à une solution pour sécuriser le chronométrage, en prenant en compte les risques de perturbations, de pertes de l’information. Le défi pour l’audio-vidéo est principalement porté sur la latence « end-to-end ». La personne qui contrôlera la caméra depuis Madrid, par exemple, ne pourra pas faire les bons réglages s’il y a un important décalage entre ce qui est filmé et ce qu’elle voit. La latence « end-to-end » est un grand défi ou chaque étape doit être optimisée. En réseau 4G, 60 à 70 millisecondes sont perdues dans le réseau, alors qu’avec la 5G la latence sera de 5 millisecondes. Il faut ensuite ajouter les 40 millisecondes de codage-décodage et finalement la distance entre le lieu de l’événement et le bureau de gestion (Tokyo-Madrid est environ à 40-50 milliseconde). Le but est de ne jamais dépasser 150 millisecondes sur l’ensemble de la chaîne.

 

La stratégie de NuLink va-t-elle changer avec la production de ces équipements ?

Il y a deux conditions pour que NuLink redevienne un fabriquant d’équipement. La première est remplie avec le financement INNOSUISSE.
La deuxième sera plus difficile à remplir : trouver des investisseurs pour un montant d’environ 1.5 million. Si nous trouvons ce financement, nous nous attaquerons au marché international.

 

Quelle sont les difficultés pour financer un projet en Suisse ?

En Suisse, lors du lancement d’un projet il y a des possibilités de financement (Start capital, business Angel). Le réel problème apparaît après l’étape du Start-capital, où les possibilités de financement pour l’industrialisation, la fabrication et la commercialisation manquent. Ce n’est jamais le bon produit, le bon moment. Ce phénomène est assez représentatif de la Suisse. Pour cette raison, de nombreux projets suisses vont se développer aux USA. Nous avons de super projets, de très bonnes écoles, mais souvent c’est à la fin qu’il y a un problème. Je l’ai vécu avec ma première expérience entrepreneuriale lorsque nous avons vendu notre société à une entreprise française, simplement parce que nous ne trouvions pas de financement en Suisse.

 

Article rédigé par Victoria Barras & Abnet Sebhatu

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